Destin et Rencontres


 

En 2006, la SACEM dévoilait le palmarès de ses "grands prix 2006" qui récompensent des artistes ou professionnels de toutes générations.
Au travers de ces grands prix, la Sacem consacre des hommes et des oeuvres appartenant à tous les genres, styles, générations, et placés sous le signe du triptyque : la durée, la diversité et la qualité. Le palmarès est établi après délibération par le Conseil d’administration de la Sacem :

  • Grand Prix de la chanson française (créateur-interprète) : Francis Cabrel
  • Grand Prix de la chanson française (compositeur) : Franck Langolff (remis à titre posthume)
  • Grand Prix de l’édition musicale : Stéphane Berlow (BMG Publishing)
  • Grand Prix de la musique traditionnelle : Justin Vali
  • Grand Prix du jazz : Henri Texier
  • Grand Prix de la musique pour l’audiovisuel : Maurice Jarre
  • Grand Prix de la chanson française à l’étranger : Nana Mouskouri

 

 

A cet occasion, un livret biographique a été édité. Nous allons utiliser le texte de ce livret pour faire connaissance avec les personnes qui ont été présents dans la route professionnelle de Nana.
Dans le texte, les liens actifs vous permettront de découvrir plus d'informations, via l'Encyclopédie en ligne Wikipedia. Pour chaque page qui s'affichera, une autre langue pourra être choisie, si disponible, dans le menu de gauche.

 



"Ce qui est important, ce n’est pas ce que tu fais, mais comment et pourquoi tu le fais", lui avait dit un jour la grande Maria Callas, et avec le recul du temps, il semble bien que Nana ait suivi, et même dépassé le conseil ! Près d’un demi-siècle de carrière, des centaines de millions de disques vendus, et presque autant de jours que de concerts, aux quatre coins du monde. S’il fallait associer à un mot Nana Mouskouri, ce pourrait décidément être "éternité", au meilleur sens du terme : celle de ces maisons blanches qui éclatent de soleil, dans la Grèce de son enfance, des robes légères qui y tournent au son des bouzoukis, de ces refrains intemporels qui jalonnent son œuvre, au point de faire partie du folklore, de sa carrière qui, en cinq décennies de succès, n’a jamais connu de faille ni de revers.
Aussi loin que nous remontions dans notre mémoire, nous trouvons toujours une chanson de Nana sur notre chemin, qui nous parle d’amour, de roses, de racines, de paix, de liberté, de bonheur, de voyages, et bien sûr de Méditerranée. Et puis leur interprète, immuable, généreuse, rayonnante. Car Nana, c’est la vie, tous ceux qui la connaissent vous le confirmeront. Une fille "forte, franche, simple et vraie"  comme dit son ami Léonard Cohen.

Née en Crète, Nana s’appelle en réalité Joanna, et elle a eu une enfance qui donne à rêver : un père projectionniste en plein air, haut en couleur (joueur, conservateur et résistant pendant la guerre) et une mère ouvreuse de cinéma (mais qui voulait être chanteuse d’opéra), au temps de Judy Garland et de Fred Astaire. À six ans, elle découvre ses dons pour la musique, sur les traces de sa grande sœur, Jenny, et toutes deux feront le conservatoire d’Athènes, où la famille poursuit ses activités. Après y avoir appris le chant classique, le piano et l’harmonie, étudié les lieders de Franz Schubert et les arias d’opéra, elle découvre le jazz à travers la radio de nuit (Radio Tanger !), se prend de passion pour Bessie Smith, Billie Holiday, Sarah Vaughan et surtout Ella Fitzgerald, "ses classiques à elle", et se voit… interdite d’examen de fin d’année au conservatoire, pour avoir chanté "Lullaby of birdland" et "Rock around the clock" à un concours ! Car elle chante comme elle respire - tout le temps -, court les radio-crochets, les auditions et séances radio, et n’a qu’une obsession :  monter sur scène, à commencer par celle du cinéma familial après le départ des spectateurs, devant la salle vide !

Mais c’est encore meilleur avec du public, et dès 1957, au grand dam de ses parents, elle se produit au club "Le Mokabolido" à Athènes, et, au début, galère pour trouver son "look", cette image d’elle qui ne changera plus guère par la suite :  lunettes ou pas ?
 
Robe noire ou blanche ? Régime ou pas ? Frange ou non ? On la dit trop grosse, pas assez sexy. Elle se cherche, se défend, s’impose. Et, de bouche en oreille, elle rencontre bientôt le grand compositeur Manos Hadjidakis, et son alter ego le poète Nikos Gatsos, qui lui font enregistrer des chansons pour un film, puis un premier 45 tours, tout en écrivant devant elle leurs fameux "Enfants du Pirée", qui feront le bonheur de Mélina Mercouri dans "Jamais le dimanche". Un moment d’exception et la naissance d’une grande amitié avec l’écrivain, à l’aune du Café Floca, ce petit Saint-Germain athénien où l’on croise Yannis Ritsos et Mikis Theodorakis, deux figures historiques qu’elle chantera bientôt (poèmes d’"Epitaphios")...

Ses premiers succès s’intitulent donc - pour la traduction française - "Mon amour existe quelque part", "Le petit cyprès", et grâce à eux, elle remporte le Premier Prix du Festival de la Chanson d’Athènes, en 1959, celui de l’année suivante, puis celui du Festival Mediterraneo de Barcelone. Dans son public, désormais, des princes, des armateurs et des stars de l’écran, Onassis, Niarchos, Gregory Peck et Anthony Quinn :  le gotha. Et elle enchaîne les clubs, de l’Astir au Tzaki, où elle chante devant le Premier Ministre Constantin Caramanlis, le futur roi Juan Carlos (à ses fiançailles) et Jackie Kennedy alternant contre toute attente… jazz et rock and roll, le son de ses vingt ans. Elle se produit même sur le célèbre porte-avion Forestal ! Aussi surpris par  cette  jeune  fille  au  look  d’étudiante  sage que par l’énergie et la chaleur de sa voix, par ce troublant contraste entre classicisme et modernisme, le public en redemande, et aussi le métier : les propositions de contrats affluent, de concerts comme d’enregistrements, et c’est la France qui la "signe", en la personne de Louis Hazan, sur le label  Fontana. Nana Mouskouri est née, et elle est toujours là, des milliers de chansons après.

Mais c’est en fait en Allemagne que sa carrière internationale commence, avec la bande originale d’un documentaire sur la Grèce composée par Hadjidakis, "Grèce, pays de rêve", Ours d’Or à Berlin, dont elle assure le commentaire et les cinq chansons. Parmi elles, une dont le single "Weisse rosen aus Athen"-"Roses blanches de Corfou", la ville de sa mère - se vendra à un million et demi d’exemplaires et sera classé 38 semaines en tête des hit-parades locaux ! Puis aux Etats-Unis avec le prolifique Quincy Jones, qui l’initie au métier et lui fait enregistrer des standards ("The girl from Greece sings"-1962), et enfin, la même année, un premier album français, qui s’accompagne d’un Musicorama et d’une première partie de Georges Brassens à l’Olympia. Et si elle refuse de "laisser tomber les lunettes et le prénom", elle accepte néanmoins de perdre… 30 kilos, à raison !
Suivra l’Eurovision 63 ("À force de prier"), qui lui ouvre les portes de la BBC grâce à la productrice Yvonne Littlewood - elle y aura plus tard sa propre émission pendant plus de dix ans ! -, un concert pour l’UNESCO et son album "Mes plus belles chansons grecques", qui lui vaudra le Grand Prix de l’Académie du Disque en 1964, avec Sheila et Cloclo, après le Lion d’argent de Radio Luxembourg, et avant le festival de Baden Baden (2e Prix) et le prix du Marathon de la chanson ! Cette fois, c’est parti, avec un Bobino triomphal, le 20 février 64, puis la "Fête de l’Huma" devant 200.000 personnes !

Toujours passionnée de jazz, elle passe de Quincy Jones à Michel Legrand, dont elle reprend "Les parapluies de Cherbourg", et avec lequel elle fera ensuite un superbe disque de duos ("Quand on s’aime"), puis à Harry Belafonte qui recherche "une nouvelle Myriam Makeba" pour l’accompagner en concert ("Nana Mouskouri in New-York"). Ensemble, ils feront cinq tournées triomphales aux USA, la meilleure école qui soit, puisqu’elle apprend vraiment la scène avec le maître du calypso. Elle n’arrête plus !
En 1967, elle a déjà vendu huit millions d’albums dans le monde. Mais c’est en France, son pays d’adoption, qu’elle rencontrera désormais le plus grand succès, à partir de "L’enfant au tambour", enregistré avec Michel Legrand aux manettes et aux scores en 1965. Ainsi son album "Le jour où la colombe" (1967), l’un de ses meilleurs, regroupe-t-il plus d’un tube :  "Adieu Angelina", "Au cœur de septembre", "C’est bon la vie", "Robe bleue robe blanche"…   Puis, l’année suivante, "Puisque tu m’aimes", "Tous les arbres sont en fleurs", "Roule s’enroule"… Des adaptations ou originaux signés en majorité Eddy Marnay et Pierre Delanoë, ses maîtres à chanter et auteurs de prédilection, auxquels va s’ajouter notamment Claude Lemesle.

Et la scène suit, précède même : Olympia en 1967, Royal Albert Hall en Grande Bretagne, pays où elle sera classée plus de 102 semaines dans les charts avec l’album "Over and over" (1969). Parallèlement, elle reprend des chansons classiques ou traditionnelles (comme "Le temps des cerises") ou des airs du folklore.

Autour d’elle, comme il se doit, des fidèles, qui se sont relayés au fil du temps :  d’abord George Petsilas, son chef d’orchestre et premier mari (leader du groupe "Les Athéniens"), puis André Chapelle, son directeur artistique et deuxième (et actuel) époux, Gérard Davoust (qui suivra toujours sa carrière), et bien sûr, tous les grands auteurs et compositeurs français, les Eddy Marnay, Emile Stern, André Popp, Pierre Delanoë, Franck Gérald, Michel Jourdan, Hubert  Ithier, Claude Lemesle, Alain Goraguer, Jacques Denjean, Christian Chevallier, Georges Coulonges, Vladimir Cosma, jusqu’à Jean-Claude Brialy dans son dernier album ! Car Nana est une artiste fidèle et une femme de mémoire sachant ce qu’elle doit aux rencontres de la vie, à ceux qu’elle appelle "ses maîtres" :  Louis Hazan, le directeur artistique Philippe Weill, Eddy Marnay, Harry Belafonte, et surtout Nikos Gatsos, dont les ouvrages la guident autant que le fameux "Prophète" de Kalil Gibran.
 
Elle fait partie de ces artistes qui se font entendre parce qu’ils savent aussi écouter. Elle a le sens des racines, en matière de lieux comme d’êtres, et c’est peut-être là une de ses clefs de sa longévité : on va d’autant plus loin qu’on se souvient d’où l’on vient. Et elle a le sens du succès, des mélodies, des bonnes reprises (cf. "Amazing grace", "Guantanamera", "Coucouroucoucou paloma") : c’est une vraie et grande interprète. En 1977, avec 35 disques d’or à travers le monde, elle remplit l’Olympia pendant trois semaines, et elle remet ça en 1979, pour ses 20 ans de carrière. Son nouveau succès, "Je chante avec toi liberté" (paroles: Delanoë-Lemesle) triomphe partout dans  le monde, en passant par le Palais des Congrès (janvier/février 1984). C’est à cette époque qu’elle rechante en Grèce, pour la première fois depuis 22 ans, sur la scène légendaire du Herod Atticus.
Suivront, encore et toujours, des concerts et des disques, et réciproquement, car, comme dirait son ami Charles Aznavour, "Nana n’est pas chanteuse, elle est la musique". Si la chanson était une femme (et elle l’est sûrement), ce serait indéniablement elle. En 1988, toujours en quête de nouvelles expériences, elle consacre un double album aux airs classiques ("La Norma", "Adagio", "Sarabande"), suivi d’un concert au Zénith avec l’orchestre Colonne et 40 choristes. Elle enchaîne avec les disques "Couleur gospel"  en 1990, et "Hollywood" en 1993, avec le fidèle Michel Legrand, consacré aux standards de l’écran.

Cette même année, elle est nommée ambassadrice de l’UNICEF, à la place de la regrettée Audrey Hepburn, donnant des concerts de charité, puis est élue en juin 1994 députée au Parlement Européen, sous la bannière du parti grec de la Nouvelle Démocratie. Fonction qu’elle abandonnera ensuite, déçue par la politique.
Et comme toujours, la carrière de Nana se compte en disques ("Dix mille ans encore", "Nana latina", "Hommages", "Concert  for peace", "Fille du soleil", "Nana swings", superbe live jazzy de 2002), et en tournées, partout et tout le temps, la scène étant sa seconde demeure, de la salle Pleyel à la Cigale, de Séoul à Copenhague, d’Adélaïde à Singapour. Elle a d’ailleurs entrepris depuis deux ans une gigantesque tournée d’adieu prévue jusqu’à l’an prochain, dernière (?) visite à cette "famille de musique" dont elle dit joliment : "De mes tournées, je ramène des bouquets offerts par le public, et je fais sécher ceux qui m’inspirent".

Au total, cette chanteuse digne du Livre des Records - longévité, ventes, marché mondial, langues - a enregistré depuis 1958 plus de 1.500 chansons (grec, anglais, allemand, espagnol, italien, japonais, hollandais, portugais, hébreu etc.) et vendu, dit-on, plus de 300 millions de disques (300 disques d’or, de platine, de diamant, toute une pièce de sa maison !), peut-être plus que Céline Dion et Madonna réunies, ce qui en fait l’une des artistes féminines les…  plus vendues dans  le monde !  Et, bien sûr, des dizaines, centaines de prix et de distinctions.

Et elle est surtout une formidable ambassadrice de la chanson française à travers le monde, elle qui avoue "n’avoir jamais passé un soir sans chanter en scène "Plaisir d’amour", et que son ami Nikos Gatsos définissait comme "un navire qui voyage sans jamais quitter son rivage". On ne saurait mieux dire pour décrire l’éternité.

 

Playlist

  • Casta Diva (Bellini) - Album Classique (1988)
  • The Guests (Leonard Cohen) - Album Vivre avec toi (1980)
  • Smoke gets in your eyes (H. Kern) - Album The girl from Greece sings (1962)
  • Beauty and the beast (A. Menken - H. Ashman) ft. Harry Belafonte - Album Hollywood (1993)
  • Le jour où la colombe ( N. Heiman / E. Marnay) - Album Le jour où la colombe (1967)
  • Amazing Grace (trad.) - Album Couleur Gospel (1990)
  • On cueillle la rose (C. Aznavour) - Album  Fille du soleil (2002)
  • Hartino to fengaraki (M. Hadjidakis / N. Gatsos) - Album Fille du soleil (2002)

 

 

 

Source : Nana Mouskouri, Grand Prix de la chanson française à l’étranger (2006)
Playlist : mp3, 44100 Hz, 96 bps, mono (radio quality)
Artwork : Monsieur Qui / Google Music Playlist
@ PhB, 25 fev. 2016